Vendredi 25 août
Distance 171 km – Dénivelé 890 mètres
«
Aujourd’hui, je vais rouler un peu dans le Doubs, la Haute-Saône puis la Saône-et-Loire. La matinée va être cauchemardesque, une pluie battante tombe en continu sur tout le parcours. Je vais essuyer l’orage, la grêle, le vent, mon couvre casque va être arraché par les bourrasques et disparaître dans les champs.
Marnay
De temps en temps, j’essaie de m’abriter sous un pont d’autoroute ou sous un abribus. Mais j’ai déjà mes réservations, si je m’arrête, je vais désorganiser tout mon planning. Sous l’orage, les GPS vont se bloquer, seule la montre connectée est encore active, je vais m’égarer aux environs de Marnay, avec ce temps il n’y a pas âme qui vive. J’appelle mon épouse et avec l’aide de Live-Track, elle va me remettre sur le bon chemin.
Pesmes
Je passe à proximité de Pesmes qui est l’un des plus beaux villages de France. Dans ce village, dix monuments sont classés ou inscrits au patrimoine. Ce serait très agréable d’y passer du temps, mais aujourd’hui sous ce déluge je ne suis pas vraiment d’humeur à faire du tourisme.
Je ne profite pas du paysage, Les grandes cultures dans la plaine de la Saône occupent une place importante du territoire, il n’y a pas de haies ou de végétation pour s’abriter du vent. Il est 14 h et je ne suis qu’à Losne, j’aurais mis 6 h pour parcourir 60 km ! Je suis entré en Saône-et-Loire, je suis frigorifié et affamé, il faut que je m’arrête absolument.
J’avale un sandwich, appelle mon épouse. Je ne suis pas très optimiste pour la suite, je lui demande même d’envisager la recherche d’un autre hébergement : atteindre Monceau me semble utopique !
Le vent violent qui ne va jamais se calmer a balayé les nuages. Il ne pleut plus. À la sortie de Losne, je tente d’emprunter la voie verte qui longe la Saône mais malheureusement je dois faire demi-tour au bout d’un kilomètre : la piste dégradée par les ornières est impraticable avec des pneus de route.
Seurre
Le repas commence à faire son effet, les jambes tournent bien, mais l’euphorie sera de courte durée. Soudain, j’entends des couinements au niveau du moyeu de ma roue avant, j’ai la sensation que la roue tourne difficilement. Je m’arrête et je constate que ma dynamo qui alimente l’éclairage et recharge les GPS a un dur mécanique (sans doute un roulement en train de gripper), elle n’a pas dû trop aimer l’orage de ce matin.
En se grippant, elle a fait un demi-tour et a arraché toute la connectique. Normalement il ne faut surtout pas la lubrifier. Je vais transgresser la consigne et huiler abondamment l’axe, je n’ai pas le choix. Si elle se bloque définitivement je vais devoir appeler un taxi, trouver un hôtel et me mettre en quête d’une roue.
Je repars prudemment avec cette nouvelle épée de Damoclès au-dessus de la tête. Au fil des kilomètres la situation semble s’améliorer. Je vais traverser la Saône à Seurre et contourner Beaune par le sud au pied des grands crus de Bourgogne. À cet instant, je pense aux épicuriens et gastronomes du club et notamment à Henry. Des panneaux qui vont titiller le palais de chacun d’entre vous défilent : Meursault, Pommard, Volnay, Santenay, etc.
À flanc de coteaux, j’aperçois un magnifique château aux toits chamarrés de motifs en tuiles plates vernissées, typique de l’architecture traditionnelle bourguignonne.
Je passe à proximité de Chalons-sur-Saône où habite une cousine. Je n’ai pas prévenu de mon passage, car avec les aléas de ces parcours, il n’est pas toujours possible d’être ponctuel au rendez vous. Son mari fait du vélo, il pourrait me prêter une roue et éventuellement me conduire chez un vélociste pour acheter des cuvettes de pédalier. Pas de chance, aucun téléphone ne décroche, ils sont sans doute partis en vacances.
Chagny
Je vais arriver à Chagny et emprunter l’EuroVelo 6 qui est l’appellation du canal du Centre. Ce canal relie les vallées de la Loire et de la Saône. Il servait par le passé à transporter le charbon et des pièces industrielles pour les usines Schneider du Creusot. Il est maintenant très prisé des plaisanciers.
Bonne décision, car la piste cyclable à ma grande surprise est en excellent état. Le parcours est plat et la végétation qui borde de temps à autre les berges du canal me protège du vent. J’ai bon espoir de rattraper mon retard et rallier Monceau dans les délais.
Le temps maussade n’est pas très propice à la contemplation et à l’évasion, pourtant, je vais tout de même pouvoir admirer les belles courbes du canal, des péniches très bien aménagées voguent lentement sur ces eaux tranquilles. D’autres sont à la manœuvre pour passer les écluses. Sur les coteaux à droite en sortant de Chagny, les vignobles de crus prestigieux s’étalent accrochés aux versants des coteaux.
Saint-Léger sur Dheune
À Saint-Léger sur Dheune, miracle ! Une boulangerie est ouverte sur le bord de la route, je ressens l’envie irrépressible d’un Paris-Brest. Déception, il n’y a que des religieuses et des éclairs au chocolat. Une religieuse au café accompagnée d’un coca fera l’affaire. La boulangère acceptera gentiment de remplir mes gourdes.
Au niveau d’Écuisses, un panneau indique la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée. En l’apercevant, je ne peux m’empêcher de penser : quelle cause infime détermine le cheminement de ces filets d’eau vers l’une ou l’autre mer ? N’est-ce pas le même hasard qui préside à nos destinées et oriente différemment nos vies ?
Je passe Montchanin et Blanzy et j’arrive enfin à Monceau-les-Mines. Je vais coucher à l’hôtel Konine qui jouxte la piste cyclable. Il est 19 h, je suis fourbu, j’aurai roulé 12 heures !
Monceau-les-Mines
Je vais ranger mon vélo, prendre une douche, et partir en quête d’un restaurant car celui de l’hôtel est fermé ce soir. Je vais en trouver un à proximité de l’hôtel.
À peine suis-je entré dans l’établissement, qu’un monsieur qui s’approche du comptoir pour payer s’écroule victime d’une crise cardiaque. Heureusement pour lui un médecin présent dans la salle intervient rapidement et entame un massage cardiaque, le SAMU l’évacue rapidement, j’espère que ce malheureux va s’en sortir.
J’ai pensé, mais ce n’est pas de très bon goût. C’est peut-être la vue de l’addition qui a provoqué le malaise.
Je rêve depuis deux jours d’une entrecôte frite, ce n’est pas très diététique mais excellent pour le moral, je vais pouvoir assouvir mon envie et rentrer me coucher pour un repos bien mérité.